A Marianne

Madame, assurément, je ne prétendrai pas,

Et là sera l’aveu de mon mea culpa,

A figurer de vous une esquisse fidèle.

Je n’en ai point le don. Mon art n’a de modèle

Que les clignements d’yeux, car en un bref instant

L’essentiel est saisi, suspendu est le temps.

De plus, joue contre moi une brève rencontre

Dont la fugacité a surpris notre montre.

Ainsi l’aridité que produiront mes vers

Suffira à chanter, je crois, votre univers.

 

Les yeux sont le miroir, dit un certain adage,

De notre pure essence, occultant nos ramages.

Je dirai qu’un regard vaut bien mieux qu’un trésor

Il offre à qui le voit tout l’envers du décor

Que l’on s’obstine à tort d’ériger en murailles

Pour défendre nos corps de diverses canailles.

Et le vôtre, ma chère, a ceci d’étonnant

Qu’il est dense et sans fond à en être alarmant,

Car il vit dans l’instant et non dans l’éphémère,

Et au lieu de laisser une impression amère,

Il s’en va sonder l’autre en ses moindres recoins

Pour juger sa nature et aussi ses instincts.

 

J’ai senti tout son poids ausculter ma personne

Sans que son insistance incarnât une espionne

Car toujours il fut doux malgré sa direction.

Est-ce là l’apanage échu aux discrétions ?

Regarder est commun, voir est plus difficile

Il exige expérience et examen habile.

Tout vient du ressenti qui ne s’explique pas,

Mais il est très précis et déjoue les appas.

Charmeurs et faux-semblants tombent leur mascarade

Devant sa fermeté, minant leur algarade.

Comment fait-on pour voir ? Il n’y a pas de secret.

Et pour être un adulte ? Il n’y aucun décret.

Vous observez les gens en sondant leur essence,

Mais votre art est réel et se meut dans l’absence

Puisqu’on ne surprend pas les rayons de vos yeux,

Mais le souffle anodin d’un clignement gracieux.

 

Il me vient deux raisons d’une telle présence

L’une tient du censé, l’autre de l’évidence,

Car une telle oeillade expire sans vécu,

Or la vôtre irradie en exprimant ses crus.

On y sent les éclats d’une vie d’expérience

Condensés en un point, pupille de prescience.

Pourtant j’y vois aussi, c’est mon indécision,

Le rempart amoureux de votre cohésion

Avec le compagnon des jours de votre vie.

Votre oeil est scrutateur et au besoin dévie

Un contact accessoire : à vos côtés terriens,

Un esprit aérien dont vous êtes le lien.

Vous pointez nommément ce qu’il sent négligeable

Soulignant à dessein un décor dommageable,

Et vous guidez ses pas d’un esprit avisé

En scrutant le chemin d’un regard aiguisé.

 

Avant que d’achever cette brève peinture,

Il me reste un détail en guise de clôture.

Tout dans votre présence et vos regards est doux,

Vos gestes sont posés et excluent tout tabou.

Ce doit être les ans qui érodent les angles

Ainsi qu’agit l’orfèvre usant de son résingle.

Puisque mon court vécu n’a point votre épaisseur

Qui semble destiner à autant de douceur.

 

Maintenant je vous laisse à votre ministère.

Une autre conjonction, au besoin éphémère,

Livrera j’en suis sûr un nouvel élément

De votre personnage et son tempérament.