Dédicace à Marc Bonnant 2010

Accueillir en nos murs un esprit intangible,

Tenter d’en dessiner une image accessible

Et permettre au dicible une brève éclosion,

Est-ce bien judicieux ? Une telle intrusion

Dans un talent génial, quelle forfanterie !

S’y acharner serait une belle utopie,

Car tout le monde a droit à son petit jardin !

Discourir à l’envi peut paraître anodin;

Jouer avec les mots, unir leurs harmonies

Toucher à l’infini : c’est le trait d’un génie

Dont la seule limite est d’imposer son art

Aux affres silencieux qui guettent la plupart.

Du rempart de ses dents s’élève une surprise

Toujours renouvelée, égale à sa maîtrise.

Il ne cherche les mots puisqu’ils viennent à lui,

Même les plus banals sont remède à l’ennui.

Et simple en apparence une pauvre tournure

Déclenchera chez vous une douce brûlure.

On ne se lasse point de l’ivresse des mots

Qui ont plus à offrir que des bravissimo,

Et l’on en viendrait même à craindre leur absence

Tant pèserait sur nous le poids de leur silence.

 

Disputatio

 

– Ave !    – Ne peux-tu pas te fendre d’un bonjour ?

Ainsi que le ferait n’importe quel pandour !

– L’idiotie aurait-elle investi ta carcasse

A vouloir à tout prix me confondre à la masse ?

– Monsieur, à trop vouloir monter sur ses grands airs…

– C’est sur ses grands chevaux !    – Bon ! Piqué dans sa chair

Monsieur brandit sa verve et se perd en foucade.

Est-ce à ton goût !    – C’est mieux, malgré ta scapinade.

Connais-tu Marc Bonnant ?    – Bon an, mal an, c’est ça ?

– Arrête ! Veux-tu donc !    – Pourquoi cesser fissa ?

– Car il est parmi nous, nous goûtons sa présence.

– Ignoré-je cet homme ? A-t-il une importance ?

– Certains disent que oui.    – Et toi, qu’en penses-tu ?

– Je ne sais trop.    – Allons, bouscule ta vertu !

– Je ne connais de lui que l’aura qu’il dégage,

Tant il a de surnoms qui notent son langage.

– Ah, Monsieur recommence à fredonner son art

De bien peser ses mots pour égayer son fard.

Comment surnomme-t-on ce diseur anonyme

Qui paraît attiser ton élan magnanime ?

– Le Mozart du barreau.    – Encore un avocat !

Tout le monde le sait, ils aiment le fracas…

– Suffit ! N’as-tu point honte à causer de la sorte ?

On dit de lui qu’il tient une éloquence accorte.

Beaucoup s’y sont frottés lors d’amicaux duels

Mais tous ont succombé à son rythme cruel.

– Parti pris !    – Que dis-tu ?    – Je te sens arbitraire.

– Enthousiaste plutôt devant son savoir-faire.

– Ainsi tu le connais !    – Que nenni ! Si ce n’est

Quelques retransmissions de son art raisonné.

– Ton verdict ?    – Stupéfiant !    – Est-ce là ta pensée ?

N’as-tu point d’argument qu’une veine insensée ?

– Et risquer de commettre un redoutable impair

A vouloir mettre un nom sur un art aussi clair ?

Tu ne peux deviner l’excellente faconde,

Irrésistible fruit de sa source féconde.

– J’aime à entendre un pair dont l’élogieux propos

M’invite à savourer, et cela sans repos,

Les bienfaits d’une langue en partie déclinante.

Ainsi je te sais gré d’être partie prenante.

– Je me plie volontiers à ta cupidité,

Mais crains d’être piégé par des banalités.

Il n’y a point de mesure à décrire cet homme

Tout semble réducteur, aux dépens de sa somme.

De plus, je ne veux pas, ravi par mon élan,

Me risquer d’avouer qu’il a les cheveux blancs.

– J’attendais ton avis, là je subis tes doutes

Cela t’accable-t-il à ce point qu’on y goûte ?

Je t’ai connu plus prompt à disputer de tout,

Jamais à rechigner. Où donc est ton bagout ?

Ne t’inquiète pas tant, nul ne cherche querelle

Nous allons informer d’une ardeur naturelle.

– C’est cela. On sent bien chez cet homme érudit

Une ruse agréable à contrer nos acquis.

– Telle une voix pythique ardemment attendue

Laisse un goût d’amertume en prisant l’étendue.

Serait-il aussi bon que ce que tu prétends ?

– Plus encore je crains, tant il est déroutant.

Et le ton de sa voix, admirablement juste.

Une modalité langoureuse et vénuste

Nous enchante à foison sans jamais endormir.

Tantôt une hauteur sublime à en frémir

Notre attention captive et puis nous la délivre

Au détour d’un dolce qui soudain nous enivre.

Tantôt un doux silence ajuste son ressac

Cherchant d’excellents tours au fond de son bissac.

– Capiteux ?    – Nullement !    – Même pas une larme ?

– Je n’irai pas jusqu’à nourrir ta vaine alarme !

– C’est un brillant tableau dont tu dépeins les traits

N’a-t-il point de défaut ? Ou serais-tu distrait ?

– Si, un seul : la malice.    – Et que dois-je comprendre ?

Car je n’y vois nul mal.    – Laisse-moi te l’apprendre.

Il aime taquiner, prendre le contre-pied.

– Chacun agit ainsi, nous aimons houspiller.

– Lui chérit volontiers d’émailler sa harangue

De multiples doutes qui nous rendent exsangues

Puisque nos fondations remuées en leur sein

Ne cessent d’ébranler nos infimes desseins.

– A t’entendre parler toute son immense œuvre

S’évertue à nous faire avaler des couleuvres.

– Non, je ne l’ai point dit ! C’est son esprit taquin

Qui tend des guets-apens. Il n’est pas arlequin.

– Tu nous dis simplement qu’il n’a jamais de cesse

D’alimenter chez nous une espiègle sagesse.

– Tel un ancien il sait que rien n’est éternel,

Et ne se complaît pas dans le conventionnel.

– Il me tarde vraiment d’assister à sa verve.

– T’aurais-je convaincu ?    – Je suis sur ma réserve

Car une telle aisance a le don d’étonner,

Mais curieux de nature à tous les exposés,

Je vais prêter l’oreille au discours de notre hôte.

– Je te reconnais bien, prompt à la tête haute

Mu par ton cœur léger…    – Cesse tes compliments !

S’il est indifférent aux simples boniments,

Attaché à la langue, alors qu’il la célèbre

Car celle-ci se meurt. Les oraisons funèbres,

Produits d’esprit de peu, foisonnent à tout vent;

Et si ton orateur d’un propos enivrant

Nous insuffle à nouveau l’ivresse de la langue,

Qu’il me grise de mots s’il veut bien que je tangue.

– Soit, cédons-lui la place ! Après ton plaidoyer

Mon silence est de mise, et à te côtoyer

J’y ai pris du plaisir. Malgré tous tes reproches,

Notre amour pour les mots est un lien qui rapproche.

Epilogue

 

Comment se préparer à tant de symphonie ?

Oui, le yoga c’est bien, mais la catatonie

N’est pas le seul moyen d’aborder le fortuit.

Un bon apéritif ? Nous en serions réduits

A écouter nos voix, si calmes fussent-elles !

Quant à l’humilité, on la croit bagatelle,

Mais c’est la voie idoine à poursuivre en ce jour

Car il nous serait vain de nous perdre en détours.

Avouer notre peu d’une abondante langue

Et ouvrir notre esprit à une douce harangue

Est empreint de justesse envers notre orateur

Qui ne veut qu’enrichir nos discours amateurs,

Car la langue n’est pas un flux de borborygmes

Qui ramène nos vents à de beaux paradigmes,

C’est une créatrice en nombreux expédients

Qui souffre de servir nos propos indigents.

Si nous ne pouvons pas exalter ses mérites

Accordons nos faveurs à ceux qui les abritent.

Bien qu’on trouve des arts plus faciles d’accès

Même l’art oratoire obtient de francs succès.

Mais pour y parvenir, il faut joindre au service

Un soupçon de génie, une once de malice.

Et dans cet élan-là, jubilez bonnement,

Nous cédons notre chaire à Maître Marc Bonnant.