Chers étudiants, on glisse, on effleure, on consume
A un rythme effréné, parfois même l’écume
De sa prime jeunesse au regard d’un ancien
Qui de son oeil sévère estime en praticien.
Vous méjugez les vieux, eux ont peine à vous lire,
Ou vous lisent trop bien mais le choix à élire
Pour traverser à gué cet abîme des ans,
Ou des générations, si le trait n’est plaisant,
Est source de querelle et surtout de méprise,
Car un jeune vieillit, un vieux se modernise.
L’un brûle les deux bouts de son plus précieux bien
Puisqu’on est trop pressé d’être déjà demain.
L’autre éprouve un regret empreint de nostalgie :
Il n’a plus les moyens de sauver sa bougie.
Et pourtant ils sont proche en exceptant mûrir.
Un seul mot les sépare au lieu de réunir.
Un jeune est plein d’allant et nargue l’expérience,
Car son coeur invincible abonde en omniscience.
Lui se meut lentement mais toujours pleinement,
Car il traîne avec lui le poids de ses serments.
Mûrir, chers étudiants, ce mot pourtant si neutre
Aura vite raison du suffisant, du pleutre.
Combien de fois un chêne a dû se surpasser
Pour trôner, imposant, en milieu de forêt ?
Et vous, êtes-vous prêts à épuiser votre âme
Ou guettez-vous le heurt de votre prochain blâme ?
Pressez-vous, hâtez-vous, car la vie n’attend pas
Que vous la nourrissiez, elle exige un repas.
Bientôt demain viendra emportant dans ses traces
Les pas de vos regrets et de vos volte-face.
Mais il est temps encore à tourner nos regards,
Pour observer les faits en ayant tout égard
A ne pas occulter les desseins de vos rêves.
Si tels sont vos désirs, refusez toute trêve.
Mûrir est essentiel, il me faut l’expliquer
Oui, plus simple est le mot, plus il faut le brusquer
Pour qu’il devienne vous, un seul et unique être
Dont le souffle unifié éloigne le paraître.
Mûrir, c’est d’abord voir, non pas hâtivement
En effleurant ce sens, mais intrinsèquement.
C’est entendre l’oiseau qui tous les matins piaille
Et ressentir son chant pénétrer nos entrailles.
Il est là devant nous, nous hèle de sa voix
Et nous n’en avons cure, remués par l’émoi.
C’est frémir en voyant s’épanouir la rose
Dont l’effluve déjà agite nos narcoses.
C’est apprendre un savoir, non pas une leçon,
Car il faut avoir soif pour croître nos moissons.
Oui, c’est vivre l’instant, mais sans demi-mesure,
Consumer sa passion, aller jusqu’à l’usure.
Le chêne est terre et air puisqu’il se nourrit d’eux.
Il est indissociable et surtout besogneux.
Mais regardez sa force et sa toute puissance,
Il n’a jamais cessé d’accroître son essence.
Aujourd’hui étudier est devenu le lot
De votre quotidien, oubliez les sanglots.
Laissez-vous emporter, tant pis s’il y a dérive
Vous ne serez très loin d’une nouvelle rive.
Il est maintenant temps de se laisser bercer
Par une voix altière aux accents exercés.
Son verbe est enivrant, sa voix est enjôleuse,
Mais ne vous trompez pas, il n’y a nulle berceuse.
En écoutant notre hôte et ses modulations,
N’oubliez surtout pas cette consolation :
L’effort précède l’art, l’art est toujours amène,
Surtout s’il est entier. Voici un phénomène
Débordant de finesse et de subtilité,
Après mon exposé, vous l’aurez mérité.
La scène est à vous, Maître, et je vous laisse place
A nous de profiter des jeux de votre audace.