Mesdames et Messieurs, cher public, chers amis,
Il est des réunions où l’on dort à l’envi,
Mais la nécessité impose une présence
Alors que tout en nous détermine une absence.
Puis vient la liberté d’une curieuse option
Où l’on hésite un peu, c’est toujours de bon ton :
Un brillant invité, un sujet archaïque,
Le grec et le latin, cela reste atypique.
Et leur utilité ? Les doutes sont permis
Tant le monde actuel recourt au compromis.
Comprenez que ma tâche aspire au dérisoire :
D’un côté le passé, pour beaucoup accessoire,
De l’autre un défenseur d’un siècle révolu
Qu’il me faut présenter, quel désert absolu !
Mais je n’abdique pas quand bien même l’excuse
Est à portée de main pour que je me récuse.
Puissé-je parvenir à parer le divers
D’un dessein singulier en poursuivant mes vers.
Il est des discoureurs que volontiers l’on raille,
Il est des beaux parleurs pareils à la grisaille.
N’oublions pas les as de la langue de bois
Qui s’écoutent parler en visant notre émoi
Mais dont le seul écho à leur long bavardage
Provient de nos hélas, voire de nos tapages.
Puis les viennent ensuite. A trop les écouter
Nous leur donnons raison, et eux, sans s’arrêter
Continuent d’essaimer leur docte logorrhée
Car ils sont orateurs et visent l’empyrée.
Mesdames et Messieurs, discourir est un art
Si bien qu’en tant que tel et sous son étendard
Peu l’ont vraiment atteint, nombreux sont ses disciples
Car nous prétendons tous en contant nos périples
Toucher à l’absolu avant que de tarir
Frappés par un silence aux douloureux soupirs.
Pensez-vous qu’un sculpteur s’appauvrit en ébauche
Face à sa pièce en marbre ? Ou que d’une main gauche
S’en va le ciseler comme le gel les flancs
D’un sommet souverain que plus rien ne surprend ?
Non, chers amis, l’artiste abrite un geste unique
Qui force la matière à tomber sa tunique.
Nous voyons le néant, lui révèle un destin !
L’objet est-il inerte ? Il lui donne un regain
Car du fond de la pierre il perçoit le silence
D’un coeur à l’abandon, voilà son appétence.
Nous le disons artiste, il suit sa déraison
Car s’il s’arrête un jour, il perdra sa raison.
Et lui seul a le don pour réveiller la pierre :
On croit vain son dialogue, il entend sa prière.
Suivant ses bons conseils sa main prend le burin,
Et offre aux yeux de tous un somptueux festin.
C’est ainsi que je vois l’orateur admirable
Il a ce don unique et surtout insatiable
De sublimer les mots, les rendre pénétrants
Jusqu’à l’incandescence où l’art est enivrant.
Son kaléidoscope inonde les espaces
De multiples couleurs où l’ouïe s’y prélasse
Alors que notre esprit déjà s’est envolé
Emporté par les flots d’un verbe bariolé.
Nous mâchonnons les mots, le sien peint une image
Parfois nous balbutions, lui parfait son ramage
Car il est bousculé par myriade de mots
Que s’impose le choix à grands coups de plumeau
Du terme rigoureux, minutieux et fidèle
A une pensée juste, affranchie du modèle.
Vous l’avez bien compris, notre invité d’un soir
Aime à nous délecter, hormis le nonchaloir ;
Sans compter qu’il est tel Lucien de Samosate
Ayant appris le grec, langue si délicate,
A un âge tardif pour mieux le maîtriser.
Notre hôte est italien, j’ai anecdotisé.
Ma harangue est close et je cède ma place
A un art coruscant qui imprime des traces
Au fil de ses accents ponctuant ses élans.
Ainsi Maître il me tarde à goûter ce talent.
Il est maintenant temps que vous montiez en chaire
Et le mien est venu de me mettre en jachère.