Dédicace à Marc Bonnant 2011 B

Mesdames et Messieurs, cher public, chers amis,

Il est des réunions où l’on dort à l’envi,

Mais la nécessité impose une présence

Alors que tout en nous détermine une absence.

Puis vient la liberté d’une curieuse option

Où l’on hésite un peu, c’est toujours de bon ton :

Un brillant invité, un sujet archaïque,

Le grec et le latin, cela reste atypique.

Et leur utilité ? Les doutes sont permis

Tant le monde actuel recourt au compromis.

 

Comprenez que ma tâche aspire au dérisoire :

D’un côté le passé, pour beaucoup accessoire,

De l’autre un défenseur d’un siècle révolu

Qu’il me faut présenter, quel désert absolu !

Mais je n’abdique pas quand bien même l’excuse

Est à portée de main pour que je me récuse.

Puissé-je parvenir à parer le divers

D’un dessein singulier en poursuivant mes vers.

 

Il est des discoureurs que volontiers l’on raille,

Il est des beaux parleurs pareils à la grisaille.

N’oublions pas les as de la langue de bois

Qui s’écoutent parler en visant notre émoi

Mais dont le seul écho à leur long bavardage

Provient de nos hélas, voire de nos tapages.

Puis les viennent ensuite. A trop les écouter

Nous leur donnons raison, et eux, sans s’arrêter

Continuent d’essaimer leur docte logorrhée

Car ils sont orateurs et visent l’empyrée.

 

Mesdames et Messieurs, discourir est un art

Si bien qu’en tant que tel et sous son étendard

Peu l’ont vraiment atteint, nombreux sont ses disciples

Car nous prétendons tous en contant nos périples

Toucher à l’absolu avant que de tarir

Frappés par un silence aux douloureux soupirs.

Pensez-vous qu’un sculpteur s’appauvrit en ébauche

Face à sa pièce en marbre ? Ou que d’une main gauche

S’en va le ciseler comme le gel les flancs

D’un sommet souverain que plus rien ne surprend ?

Non, chers amis, l’artiste abrite un geste unique

Qui force la matière à tomber sa tunique.

Nous voyons le néant, lui révèle un destin !

L’objet est-il inerte ? Il lui donne un regain

Car du fond de la pierre il perçoit le silence

D’un coeur à l’abandon, voilà son appétence.

Nous le disons artiste, il suit sa déraison

Car s’il s’arrête un jour, il perdra sa raison.

Et lui seul a le don pour réveiller la pierre :

On croit vain son dialogue, il entend sa prière.

Suivant ses bons conseils sa main prend le burin,

Et offre aux yeux de tous un somptueux festin.

 

C’est ainsi que je vois l’orateur admirable

Il a ce don unique et surtout insatiable

De sublimer les mots, les rendre pénétrants

Jusqu’à l’incandescence où l’art est enivrant.

Son kaléidoscope inonde les espaces

De multiples couleurs où l’ouïe s’y prélasse

Alors que notre esprit déjà s’est envolé

Emporté par les flots d’un verbe bariolé.

Nous mâchonnons les mots, le sien peint une image

Parfois nous balbutions, lui parfait son ramage

Car il est bousculé par myriade de mots

Que s’impose le choix à grands coups de plumeau

Du terme rigoureux, minutieux et fidèle

A une pensée juste, affranchie du modèle.

 

Vous l’avez bien compris, notre invité d’un soir

Aime à nous délecter, hormis le nonchaloir ;

Sans compter qu’il est tel Lucien de Samosate

Ayant appris le grec, langue si délicate,

A un âge tardif pour mieux le maîtriser.

Notre hôte est italien, j’ai anecdotisé.

 

Ma harangue est close et je cède ma place

A un art coruscant qui imprime des traces

Au fil de ses accents ponctuant ses élans.

Ainsi Maître il me tarde à goûter ce talent.

Il est maintenant temps que vous montiez en chaire

Et le mien est venu de me mettre en jachère.